1 mois de péripéties à Bali : nos impressions
En débarquant à Bali, on n’a pas échappé à cette question :
« C’est votre première fois ici ? Et pourquoi Bali ? »
La réponse courte, celle qu’on sert plus souvent : parce qu’on a des amis qui ont adoré !
La vraie : parce qu’on est en année sabbatique et qu’on essaie de limiter les vols. Comme on espère rejoindre Singapore depuis Jakarta en ferry, tant qu’à se poser en Indonésie… pourquoi pas prendre le temps de visiter Bali ?
Et, après pratiquement 1 mois de camping, l’idée de se la couler douce au soleil nous apparaissait ô combien exquise
Le centre-sud : destination party town
À la seconde où j’ai mis les pieds dans l’aéroport de Denpasar, une vague de déjà-vu m’a submergée.
L’humidité, la poussière qui parsème d’un filtre grisâtre le coucher du soleil, « taxi-taxi-taxi, good price my friend », les motos, trop de personnes sur une même moto, trop d’enfants qui conduisent une moto, les gougounes, l’humidité moite, celle qui t’assoiffe aussitôt, la cacophonie assourdissante d’une ville en pleine ébullition, les temples aux ornements bigarrés, les nids de poules, les poules, les vapeurs d’essence à donner le tournis, ce délicieux état de désinvolture généralisée, les cigarettes, la saleté, l’humidité.
Je ferme les yeux, bercée par les mouvements trop brusques de notre chauffeur.
J’ai à nouveau 22 ans, quelque part dans un tuk-tuk.
Un moment de nostalgie au goût du temps qui passe. Plus de doute : après huit ans, j’étais de retour en Asie du Sud-Est.


Jour 2 et introduction à 3 langues déjà : le balinais, le bahasa indonesia et les klaxons.
— Ici, les klaxons, c’est pour dire attention. Pour parler. Mais apparemment, en Australie, klaxon… Fuck you !
— Au Canada aussi
Un échange avec notre chauffeur qui nous a beaucoup fait rire.
Sans grande surprise, on ne s’y est pas éternisé dans le Sud: les beach club, les hôtels luxueux et les communautés d’expats (appelons un chat un chat : d’immigrants blancs fortunés), étrangement, ce n’est pas trop notre truc.
Une culture à découvrir
Partout sur l’île, les plages attirent des visiteurs.
Mais si on s’éloigne un peu des sentiers battus, une bouffée d’air frais nous attend, loin de la frénésie du sud.

Cherchant le calme, on a déniché dans un village rural un petit hôtel modeste au milieu des rizières, banal en apparence. On est accueillis par les gazouillements d’une foule d’enfants jouant dans la cour.
Une dame au grand sourire nous souhaite la bienvenue.
— Elle, c’est Mama-ati. Elle a fondé une fondation pour les enfants du village qu’elle finance avec les revenus de l’hôtel là-bas. Vous, vous restez dans sa maison, nous explique le personnel.
Une fondation pour les enfants, ici à Bali ? Terrain familier pour moi, qui travaille en philanthropie.
Je n’ai pas pour m’empêcher de poser des questions.
— Elle voulait que les enfants apprennent leur culture, puissent en être fiers : aujourd’hui, ce n’est plus à l’école que ça se passe. On la surnomme Mama-ati parce qu’elle est devenue la maman de tout le monde dans le village. C’est le genre de communauté que j’aurais aimé avoir quand j’étais jeune » m’explique l’homme à tout faire de l’hôtel.
Chaque après-midi, dans la cour avant, les enfants jouent du gamelan, pratiquent les danses traditionnelles et partagent un repas avant que les parents ne viennent les chercher en scooter.
Des fins de journées ponctuées de rires et de jeux qu’on peine à déchiffrer avec nos yeux d’adultes.
Les enfants restent des enfants, peu importe où l’on se trouve dans le monde.

C’est aussi dans les milieux ruraux que nous avons compris l’importance des temples familiaux — toujours nichés dans le coin nord-est du terrain — humé les parfums capiteux des offrandes matinales et admiré les penjor, annonciateur defestivals tenus pour toutes les raisons imaginables.
Une culture vibrante, façonnée par l’hindouisme et les coutumes balinaises.
La joyeuse parade… funèbre
Saviez-vous qu’à Bali, presque toutes les occasions sont bonnes pour fêter ?
Un matin ensoleillé, alors qu’on s’en va faire du snorkeling, un concert étouffé résonne jusqu’à nous.
Dans la ruelle, une marée humaine déambule, vêtue de sarongs et de tenues traditionnelles.
Devant nos regards interrogateurs, on nous renvoie des sourires éclatants.
— Y’a une parade ce matin ? demandais-je à notre chauffeur
— Ah no, not festival: death ceremony.
Des funérailles ?
Eh oui : les hommes à la tête du groupe portent un char sur leurs épaules, une photo de la défunte et un mannequin à son effigie. Les enfants crient et galopent dans tous les sens, les rires contagieux des femmes se racontant des blagues fusent de toutes parts, les vieillards s’improvisent percussionnistes professionnels.
Et tout le monde fume des clopes à outrance. Ou presque.
Une communauté rassemblée par cette glauque occasion, pour défiler dans une marche funèbre aux allures de kermesse.
Ça ressemblait à tout, sauf à l’idée qu’on peut se faire des funérailles.
Ici, on célèbre la vie, et tout le village est le bienvenu.
Plus ta cérémonie est festive, plus tu apportes de l’honneur à ta famille. Tu veux que les gens dansent, tu veux les gens jouent de la musique, tu veux que les gens s’en souviennent pendant des années. Tout le contraire de « par chez nous ».
J’en resterai fascinée… toute ma vie.
Les balinais, d’une générosité débordante
On n’oubliera pas de sitôt notre visite impromptue chez un artiste.
Devant l’entrée, une toute petite affiche à peine visible :
Please come visit art and gallery
— On y va ? Peut-être qu’on trouvera un souvenir pour la maison.
On débouche dans la cour d’une petite famille fort sympathique. Un homme nous reçoit chaleureusement :
— Bienvenue chez nous ! Un petit café, peut-être ?
Gênés, on accepte. Il disparaît dans la cuisine tandis que son plus jeune fils s’approche et me tend un fruit de la passion.
— Vous connaissez ça ? Est-ce que vous en avez chez vous ?
La femme rit et lance à son mari une demande que je devine à travers la barrière linguistique : apporte-leur donc une cuillère aussi, mon chéri.
Hilares, les enfants s’empressent de nous présenter leurs 3 chiens et leur 2 chats.
Un vieil homme fuselé débarque à son tour, nous lançant un sourire édenté. Le patriarche.
— Ah, des Canadiens ! Ça ne va pas trop bien par chez-vous avec l’idiot de l’autre bord, non ? En tout cas, j’ai beaucoup voyagé, moi! Tiens, regardez comment j’étais beau dans le temps, déclare-t-il en nous tendant son vieux passeport en guise de preuve, fier comme un bœuf.
Le père revient avec deux cafés fumants et une pile de toiles sous les bras. Il s’installe à nos côtés et commence à nous expliquer les balbutiements de ses labeurs artistiques :
— Un jour, j’ai échappé du café sur ma chemise en coton blanche… Le bali kopi est pratiquement impossible à nettoyer. C’est là que j’ai eu l’idée de peindre… avec du café.

Comment ne pas repartir avec une peinture ?
Tout le village en mode rescousse
Un soir, on soupe tranquillement dans un warung d’un village balnéaire, criant presque pour enterrer le vacarme des véhicules.
Après plusieurs semaines ici, on a développé une résistance aux motos pétaradantes.
En revanche, le fracas sec du plastique qui éclate sous une violente collision, ça ne s’ignore pas.
Sous nos yeux, deux motos se percutent de plein fouet.
Julien bondit. Mais, déjà, le trafic s’immobilise, les passants accourent, les blessés sont rapidement transportés à l’écart de la route.
— Je crois qu’ils sont entre bonnes mains, dit-il en rasseyant.
On continue d’observer la scène : une foule se masse autour des lieux de l’accident. Les gens s’informent, potinent ou encore s’allument des cigarettes.
Un village au complet qui venait de se donner rendez-vous.
Le restaurateur nous rassure : son père, le médecin du village, est en route, et que les deux garçons impliqués ne sont pas en danger.
— Une chance que personne n’est gravement blessé à la tête !
— Oh non, ne vous en faites pas avec ça. C’est pour ça qu’on ne porte pas de casque ici : on a la tête assez dure, nous les Balinais !
Une aventure culinaire mémorable
Le voyage passe par les papilles.
Si j’en ai la chance, lorsque je voyage, j’aime m’offrir un cours de cuisine.
Parce que ça me manque, mais aussi pour m’inspirer et ramener quelques recettes à la maison. La cuisine indonésienne manque cruellement de représentation outremer !
À travers l’hôtel, on réserve notre cours avec la charmante Rama. En arrivant chez elle, on découvre que le cours se tiendra à l’extérieur, comme le veut la tradition balinaise : les cuisines se trouvent généralement en plein air.
On a passé une soirée inoubliable grâce à Rama, qui nous a patiemment montré comment préparer la bumbu bali, cette pâte jaune passe-partout, les dadar-gulung réussis, ces crêpes farcies qui m’ont réconciliée avec la noix de coco, et le secret pour frire ses aubergines balado sans se brûler
— Ferme ton feu quelques secondes, le temps d’y déposer tes légumes, m’a-t-elle soufflé en souriant.
Avec Rama, pas de tasse à mesurer, pas de recette écrite, que du feeling. Et sans surprise, tout était délicieux.




Petite parenthèse : ici, bien souvent, on fonctionne en fratries élargies. Tout le monde connaît quelqu’un : un chauffeur, un guide, ou encore une cuisinière pédagogue qui accepte de partager ses secrets avec des touristes de passage.
Et à la fin du cours, on réalise que Rama est la fille de notre chauffeur… qui se trouve être le cousin du père de notre aubergiste.
Vous me suivez ?


Une visite pas sans contradiction
En toute transparence, j’avais mes réserves avant de visiter Bali.
Je ne doutais pas de la beauté de l’île, ni de l’hospitalité des balinais. Mais ce n’est pas un secret de polichinelle : le surtourisme y est bien réel. Aujourd’hui, 80% des activités économiques de l’île en dépend. Et ça se ressent.
Faute d’infrastructures adaptées, Bali se retrouve avec des routes congestionnées, des systèmes d’égouts surmenés, des plages souillées de déchets. Rajoutez à ça un gouvernement qui tarde à structurer un véritable système de gestion durable, et vous obtenez le parfait désastre écologique.
L’ironie de notre visite là-bas ne m’échappe pas. On fait de notre mieux : remplir nos gourdes dans les rares stations d’eau potable, dormir dans des hébergements tenus par des familles balinaises, manger dans les petits warungs plutôt qu’au nouveau resto branché du coin, encourager les guides locaux.
Malgré tout, on reste des voyageurs de plus qui pèsent sur l’équilibre fragile de l’île. Visiter Bali, c’est accepter qu’on contribue à un problème complexe.
Est-ce un problème qu’on pourra corriger collectivement ?
Parce que les endroits qui nous ont réellement charmés sont ceux qui échappent encore à cette frénésie touristique et qui, à force de volonté locale, ont su préserver leur essence.
Bref, en résumé
Mais on a énormément de chance, avec mon copain : cette année, on s’est offert le luxe de ralentir. Le privilège de s’attarder à un même endroit. De s’immerger dans les cultures locales. D’entrouvrir une minuscule fenêtre sur la complexité du monde et la beauté qu’elle dissimule. D’apprendre à voir au-delà des apparences et des clichés.
Et pour ce mois de rencontres, d’élans de bonté humaine, d’initiation à des traditions riches et insoupçonnées, on a adoré Bali.
Un coup de cœur pour le Nord et l’Est de l’île, bien sûr.
Mais surtout pour celles et ceux qui y vivent. Ces régions où la culture balinaise respire encore à plein poumons, à l’abri — du moins pour un temps — de la frénésie touristique.
