Comment aller voir le lever du soleil sur le mont Bromo sans guide
Ils frappent l’imaginaire.
Inspirent aussi bien la peur que l’admiration.
Ces architectes de la Terre, qui crachent des cendres brûlantes, des gaz toxiques et de la roche en fusion.
De fascinants mastodontes qui, malgré leur caractère austère, attirent des milliers de curieux en quête de sensations fortes.
Les volcans.
Et sur ce point, l’Indonésie est particulièrement bien servie.

Kawah Bromo est fort probablement le volcan le plus célèbre de l’île de Java.
Et pour cette même raison, une industrie du tourisme au grand complet en profite.
Capitaliser sur la beauté naturelle du parc national Bromo Tengger Semeru ? Pas de problème. Amener des milliers de voyageurs en Jeep brinquebalantes pour observer le lever du soleil depuis les hauteurs de Penanjakan ? Let’s go !
Mais… n’existerait-il pas une autre manière de vivre l’expérience ?
C’est la question qu’on s’est posée en s’y rendant. Et peut-être qu’avant de grimper dans une Jeep à 3 h du matin, tu voudras lire la suite.
Partie 1 : King Kong Hill
Pas de jugement pour ceux qui préfèrent la Jeep, mais tant que mes jambes me porteront, je choisirai de m’en servir. Un lever de soleil sans l’effort qui va avec, pour moi, c’est tricher.
On débute à 2 h du matin dans le village de Probolinggo, prêts à suivre les traces de King Kong Hill, une montagne avoisinante offrant un point de vue sur Bromo.
La randonnée est très bien balisée sur les applications AllTrails et MAPS.ME, alors aucun risque de se perdre. Alternative discrète à la route principale empruntée par des centaines de Jeeps, c’est une belle option pour se dégourdir les jambes et échapper à la foule.
À cette heure, le chemin est désert. À l’exception… des chevaux. C’est d’ailleurs de là que vient son petit surnom : l’entrée des chevaux.
Pourquoi des chevaux ? Tu me vois venir : oui, il est aussi possible de faire une partie de la montée à cheval.
Encore une fois : pas trop notre truc.


Partie 2 : L’attente
Quelques heures plus tard, on arrive au sommet de King Kong Hill, épuisés par les 30 dernières minutes qui ressemblaient davantage à de l’escalade dans le noir qu’à une agréable balade.
À peine 4h30 du matin et déjà, le point de vue est bondé de gens qui attendent fébrilement les premières lueurs de l’aube.
On s’installe et on examine l’horizon. Une longue traînée lumineuse scintille au loin.
— Est-ce que ce sont les Jeeps qu’on voit au pied du volcan ?
On devine le trafic dense des véhicules, alignés les uns derrière les autres pour rejoindre le point de vue principal du mont Penanjakan, à environ un kilomètre.
Décidément, on est satisfaits de notre choix.
Partie 3 : Kawah Bromo
Les heures passent.
Le vent froid nous mord les joues.
Scrutant le ciel qui s’éclaircit peu à peu, je serre les dents : ça se couvre.
— Ça a le temps de se dégager. Et puis, la météo, c’est LA chose sur laquelle on n’a pas le droit de chialer en voyage, déclare Julien, se voulant rassurant.
N’empêche : se taper une randonnée aux petites heures du matin pour un lever de soleil absent, ce n’est pas la joie.
Faisant écho à ma pensée, ça s’agite autour de nous : j’entends des jurons en allemand, des complaintes en mandarin, et des protestations en bahasa indonesia.
Personne ne parle la même langue, mais je sens qu’une déception partagée s’installe insidieusement dans le groupe.
Puis, le moment de vérité.
L’aurore naissante nous confirme le pire : une nuée compacte nous enveloppe, occultant toute vue sur le mont Bromo.

Je ris.
Jaune.
D’autres se joignent à moi.
Comment réagir autrement ?
— Si tu aimes le soleil, tape des mains, chantonné-je à demi-voix.
En vain : nul besoin d’être météorologue pour comprendre qu’on ne le verra pas rayonner sur Bromo ce matin.
Plusieurs remballent leurs affaires en marmonnant des remarques sarcastiques :
— Wow, quelle vue ! Ça aura valu la nuit blanche, hein ?
— Magnifique ! Ça me rappelle l’Angleterre.
Tentée de les imiter, je me ravise lorsque j’entends un gars du coin implorer ses amis touristes d’être patients :
— 15 minutes de plus, attendez un petit 15 minutes de plus.
Je regarde Julien : rendus là, pourquoi pas ?
Alors on attend. Et heureusement.
Le vent se lève, enfin. Des faisceaux de lumière percent la brume épaisse, laissant entrevoir la silhouette sombre du volcan.
Un murmure d’excitation parcourt la foule. Soufflés par la brise, les nuages se dissipent doucement. Une clameur monte. Tout le monde lance des cris d’encouragement à mère nature.
D’un coup, le vent dévoile Bromo et son cratère fumant.
Des cris de joie résonnent dans la vallée, les sourires reviennent sur les visages endormis, un tonnerre d’applaudissements accueillent la vue du volcan.
Je sens mes yeux s’embuer. On n’a pas eu droit au spectacle de l’aube. Mais on a eu ce moment.
Cinq minutes plus tard, la montagne replongeait sous les nuages.

— Dans tous les cas… Ce n’était pas le lever du soleil du siècle, mais c’est mieux qu’un 9 à 5.
— C’est mieux qu’un 9 à 5, acquiesce Julien d’un sourire crispé.
Partie 4 : La mer de sable
La descente jusqu’au cratère. Oh boy.
Maintenant que le jour est levé, on réalise qu’une mer de sable aux allures de désert s’étend à perte de vue autour du mont Bromo.


Pour cette portion, pas le choix d’emprunter le chemin principal.
Mais à pied, c’est long. Très long. Trop long.
Près de 3 h à se frayer un chemin à travers les bouchons de circulation, à respirer les vapeurs d’essence, à devoir répéter non merci, non merci aux indonésiens qui essaient de nous embarquer sur le dos de leur moto-taxi.
Honnêtement, on aurait dû accepter.

Les mollets en feu après une descente interminable, on arrive aux abords de la mer de sable. Mais ce qui nous couple le souffle, c’est plutôt le décor.
Avec le soleil martelant nos nuques, on pourrait se croire sur le plateau d’un film western en pleine Indonésie.
Le sable noir volcanique, zébré d’herbes hautes, recouvre l’étendue en couches épaisses. Les motos slaloment entre les interminables rangées de Jeeps, soulevant sur leur passage des amas de poussière chaude.
À la vue de ces milliers de cavaliers improvisés, les paroles de A Horse With No Name me trottent en tête.
Plus loin, des campements de warungs installés à la va-vite offrent du café soluble, des nouilles instantanées et des satay aux voyageurs éreintés. Entre deux étals de souvenirs, des cabanes biscornues servent de toilettes de fortune.
Un vrai capharnaüm ordonné.


Arrivés au pied du cratère, Julien et moi, on se regarde : on est crevés. On sait très bien qu’on est trop fatigués pour apprécier la dernière ligne droite jusqu’au sommet. On décide que notre journée s’arrête ici.
Ce matin-là, pas de lever de soleil digne des cartes postales.
À la place, on est repartis caféinés aux cafés trop sucrés, le crâne bourdonnant sous les klaxons de Jeeps furieuses et du sable plein les poches.
Et tu sais quoi ?
Je referais ça sans hésiter.

Quelques conseils
- Dormez sur place la veille de votre randonnée. Ça ne reviendra pas plus ou moins cher, mais ça risque d’être plus simple. On a fait le trajet depuis Malang et c’était un peu trop long.
- Par beau temps, la vue depuis King Kong Hill doit être incontestablement spectaculaire. Si vous voulez voir le lever du soleil par vous-même, on recommande cette option !
- On l’a appris à nos dépens : la descente jusqu’à la mer de sable est interminable après une nuit blanche. Si vous souhaitez explorer le cratère, optez pour une moto-taxi. Les chauffeurs locaux vous proposeront leurs services pour quelques dollars. Vous gagnerez du temps et conserverez votre énergie !