Le matin où le ciel s’est mis à siffler
Tout le monde reconnait le son de l’eau qui chante dans une bouilloire en acier.
Vous savez, cette vieillerie que l’on pose sur un feu au gaz lors d’un matin frisquet au chalet, et dont le frémissement devient sifflement pour vous annoncer qu’il est temps de se verser un café bien chaud.
Mais on ne s’attend pas de ce bruit qu’il provienne… des nuages.
***
On a pris l’habitude de se lever tôt en Indonésie. Je pourrais prétendre que c’est pour profiter à fond de nos journées. Mais à vrai dire, les coqs décident unilatéralement de l’heure du réveil.
Les yeux encore collés, je roule hors du lit et file sur la terrasse de notre auberge pour savourer un bon café.

Julien me rejoint. On boit notre café en silence.
Et c’est là qu’on l’a entendu.
À travers le vacarme matinal des poules, des klaxons, des motocyclettes et des vagues qui s’échouent, un autre son.
Un sifflement léger, lointain.
— C’pas juste moi ?
— On dirait vraiment de l’eau qui bout… mais ça vient d’où ?
Le bruit s’évanouit. Puis revient le lendemain matin. Et celui d’après. Jamais plus de 30 minutes d’affilée.
Quelques jours plus tard :
— Marie !!!
Julien, le regard rivé au ciel depuis le lever du jour, aborde la tête de quelqu’un qui vient de résoudre un mystère digne d’un de ses romans de science-fiction favori.
— Regarde là-bas. Ce sont les oiseaux.
Je lève les yeux : des volées synchronisées traversent le ciel. À les voir passer, aucun doute, c’est bien eux.
— C’est fou… on ne dirait tellement pas que ça peut venir d’un animal.
— Je sais. La nature est… weird.
Je le sens insatisfait de cette explication. Moi, ça me suffit.
Jusqu’à ce que, plus tard dans la journée :
— MARIE !!! MARIE !!!
Je sursaute, relève le nez de mon livre. Cette voix-là, c’est celle d’un Julien qui vient de tomber sur LA révélation du jour et qui doit absolument me la partager dans la seconde.
— T’as trouvé quel oiseau c’est ?
— Oui, mais t’es pas prête. Ce sont des pigeons.
Je lève un sourcil, sceptique.
— Pardon ?
Ce jour-là, on a découvert que la colombiculture — l’élevage de pigeons domestiques — est un hobby ultra répandu en Asie, et l’Indonésie n’y échappe pas.
Et surtout, que certains passionnés attachent des sawangan, de petits sifflets en bois, aux plumes de leurs pigeons. Résultat : en vol, le vent qui s’y engouffre produit ce fameux sifflement… exactement comme une bouilloire.
Mystère résolu.
