Comment on s’est retrouvé dans un train en direction vers le Laos
J’écris ces lignes depuis le balcon de notre auberge, en observant le spectacle des montgolfières qui s’envolent dans un ciel crépusculaire, juste au-dessus des massives falaises de calcaires aux pics dentelés de Vang Vieng.
Malgré la saison des pluies qui bat son plein, le ciel dégagé annonce une belle soirée.
Je souris. Bien souvent, les plus beaux moments ne peuvent être scriptés. Pourquoi je dis ça ? Parce qu’initialement, on n’était pas supposé se retrouver au Laos.
Même pas un petit peu.

Apprivoiser l’imprévu
Partir en cavale pour un an, ça vient avec son lot d’imprévisibilité. Le plus gros défi est d’apprendre lâcher prise, à trouver du confort dans l’inconnu.
Quand même bien on y mettrait des centaines d’heures de recherches, on ne pourra jamais tout prévoir.
On peut avoir une idée des routes à emprunter pour se rendre du point A au point B, une vague connaissance des quartiers à éviter lorsqu’on visite un nouvel endroit, savoir repérer les potentielles anarques.
Mais il y a certaines choses plus difficiles à anticiper. Comme deviner que les frontières terrestres vont se fermer entre deux pays qui se disputent depuis belle lurette.
Ça sent le vécu, cet exemple-là ?
Surprises, surprises.
Plan A : de Bangkok à Siem Reap
Gare de Bangkok, 9h du matin.
Julien et moi avons survécus à la traversée Malaisie-Thaïlande, après une nuit passé dans la couchette d’un train qui se prenait pour une machine à laver dans la fleur de l’âge.
Je repense aux trains de nuit que j’ai pris à 22 ans, lors de mon premier voyage en Asie. De mémoire, ça bardassait pas mal moins. Je capitule en grimaçant : décidément, on ne rajeunit pas.
On passe la journée à récupérer, ne sortant qu’à la tombée de la nuit.
En naviguant les trottoirs crasseux de Bangkok en quête de quoi se mettre sous la dent, un sentiment d’allégresse m’envahit. Maudit que j’aime cette ville puante, chaotique, grisante. C’est inexplicable, viscéral. C’est comme ça, c’est tout.
— On pourrait rester une journée de plus ici ? Ne serait-ce que pour avoir l’occasion de manger plus de bouffe thaï, minaudé-je auprès de mon amoureux.
Ça le fait rire. Et ça marche : on s’offre une journée additionnelle en Thaïlande avant d’embarquer dans un bus vers le Cambodge.
Pourquoi pas ?


Après avoir passé 2 journées entières à déambuler dans la métropole en vivant d’amour pour le pad thaï et de milk tea frais, le moment est venu de réserver nos billets vers notre prochaine destination.
Je m’installe devant mon ordinateur et… surprise : aucune place disponible pour demain. Ni le lendemain. Ni le surlendemain. Ni le sur-surlendemain. Ni le sur-sur-surlendemain… Vous comprenez l’idée.
Je trouve ça louche.
Je vérifie le site internet d’une autre compagnie de bus : idem.
Là, je commence à trouver ça très louche.
— C’est quoi, cet encadré ? me fait remarquer Julien
Service suspendu sur toutes les lignes internationales en raison de grèves. Plus de détails.
Je clique sur le lien externe.
Un gros titre en gras de la BBCm’assomme : La Thaïlande ferme les points de passage terrestres alors que le différend frontalier avec le Cambodge persiste.
Je cligne des yeux, analysant l’article en diagonale.
En gros : les frontières terrestres sont fermées depuis 2 semaines, avec aucune résolution en vue.
Oupelaï.
Tsé, manifester tellement fort de vouloir rester plus longtemps en Thaïlande qu’on s’y retrouve enfermé. La vie est drôle, parfois.
Julien et moi se regarde, éberlués. Et on éclater de rire.
Ok, là on parle d’un imprévu, un vrai de vrai. J’aime ça.
Trouver un plan B
Il n’existe quand même pas 1000 solutions. On réduit à 3 options viables :
1. S’envoler pour Siem Reap, reprennant le voyage tel que planifié
Ça voudrait dire mettre une croix sur notre ambition de prendre le moins de vol possible.
— On s’est rendu jusqu’ici depuis Bali sans prendre l’avion, pis là on va ruiner ça pour une énième chicane de frontière ?
— Je sais. On aurait quand même une bonne excuse, mais je partage le feeling.
On se met d’accord : c’est le plan de secours.
2. Passer par le Laos pour contourner la frontière, redescendre au Cambodge avant de poursuivre vers le sud du Vietnam.
Cette fois-ci, c’est moi qui s’interpose :
— Ça commence à faire pas mal de déplacements juste pour respecter ce qu’on avait prévu… On va s’épuiser sans réellement en profiter.
Next.
3. Explorer le nord du Laos en prenant notre temps, puis continuer vers le nord du Vietnam.
Ding ding ding.
On tient notre vainqueur.
— Fac… On s’en va au Laos ?
— On s’en va au Laos, opine Julien.
Une traversée mémorable
Retour à la gare de Bangkok, 21h.
Après avoir étiré notre séjour, le temps d’obtenir nos visas laotiens, on est enfin prêts à se remettre en route. Cette fois-ci jusqu’à Vientiane, la capitale du Laos.
Mais le thème de ce billet, c’est que parfois, rien ne se passe comme prévu.
— Marie ?
— Mmh ?
— Euh… Je pense que je n’ai pas réservé de couchette pour le train.
— Qu’est-ce que tu veux dire, « t’as pas réservé de couchette » ?
On s’en va prendre un train de nuit.
— Je croyais que toutes les places étaient automatiquement des couchettes, vu que… c’est un train de nuit. Mais… Non, on n’a pas de couchettes.
Oups.
OUPS.
Bon.
Dans ces situations-là, j’aime me répéter que, peu importe ce qui nous arrive, ça reste mieux qu’un 9 à 5.
Heureusement, le train est à moitié vide. Julien et moi se partageons 2 banquettes à nous seuls. C’est déjà ça de gagné.
En prenant place, je sais déjà que je vais ressentir chaque minute des 12 heures à venir.
Comment décrire l’expérience 3e classe d’un train thaïlandais ?


Disons que rudimentaire est un généreux euphémiste.
Le métal des sièges squelettiques, tout fier de ses angles bien droits, proteste sous notre poids.
Dans le wagon, pas de clim, pas rembourrage, et certainement pas de confort. Le vent me fouette le visage en s’insufflant à travers les fenêtres baissées, me renvoyant de la poussière en pleine figure tout le long du trajet.
À chaque arrêt, des vendeurs bondissent à bord, essayant de nous attirer avec des brochettes de poulet rôti, des gâteaux au riz, des nouilles frites.
Voyager de cette façon est décidément une façon de découvrir une tranche de la vraie vie thaïe. On est loin de la version Instagram. This is the real deal.
J’ai passé la nuit à compter les coquerelles. J’ai arrêté au bout de 3.
Julien, lui, a passé la nuit à se tortiller sur son siège, contorsionnant son corps dans tous les sens dans l’espoir de trouver une position confortable.
Y’en avait pas.
À la découverte du Laos
Vientiane, 9h du matin.
Une nuit blanche, deux énormes backpacks et la folle envie de s’enfiler 3 ou 4 cafés.
Mais on est arrivés à bon port.
On a pris une auberge pour les deux premières nuits, puis plus rien.
Aucun plan.
Mis à part celui de découvrir un pays qu’on ne connait pas du tout et d’aller à la rencontre d’une culture dont on a tout à apprendre.
Qui sait : dans le fond, peut-être qu’on s’est retrouvé exactement là où on devait être.
L’avenir nous le dira.
En attendant, on va aller se trouver du café.

