Quand une cabine de train se transforme en salle de fête
Les meilleures histoires de voyage s’écrivent dans l’imprévu.
Ce sont celles qui ne s’inventent pas. Celles qui semblent fabriquées de toutes pièces, tant les circonstances sont invraisemblables.
Comment aurais-je pu deviner que nous allions souligner les 35 ans de Julien dans un train, à boire avec une charmante famille vietnamienne ?
La réalité a tellement plus d’imagination que la fiction.
***
Je regarde notre calendrier, un peu embêtée.
— Bon… Le jour de ta fête, on embarque dans un train de nuit vers Hanoi.
Julien me rassure que ce n’est pas grave. Après tout, on vient de passer quelques jours à se la couler douce à Hoi An, à faire du vélo dans les rizières luxuriantes, siroter des cafés et se prélasser à la piscine.
— Marie, l’année de mes 35 ans, on voyage autour du monde… Déjà ça, c’est inoubliable. De toute façon, fallait bien remonter vers le nord du Vietnam éventuellement.
Il a raison : si on veut profiter à fond des montagnes, mieux vaut ne pas tarder à se remettre en route.
Le jour J, on se rend à Da Nang pour prendre le train, après une journée des plus tranquilles.
En s’installant dans notre cabine, partagée avec 2 adolescents, on comprend vite qu’ils voyagent avec leur famille. Et lorsqu’un homme toque à notre porte pour leur parler, on réalise que ladite famille a réservé tous les autres compartiments du wagon.
— Eux, ce sont mes neveux. Lui, c’est mon garçon. 7 mois, dit-il en parlant du bambin qu’il tient dans ses bras, fier comme un bœuf.
À travers la barrière linguistique, et avec l’aide d’un des ados, on assemble les pièces du puzzle : 4 familles d’une même parenté élargie ont profité du long weekend à Da Nang.
— Vous venez d’où ? Vous avez quel âge ?
— Mononcle ! Laisse-les donc tranquille, s’exclame l’ado, gêné. Est-ce qu’il vous dérange ? Il aime un peu trop parler aux étrangers, explique-t-il en se tournant vers nous.
J’esquisse un sourire :
— Aucun souci. Les oncles ont ce point en commun, peu importe la culture
Hoang (l’ado) et Vinh (l’oncle), gloussent de bon cœur. Vinh insiste : on a esquivé sa question.
— On vient du Canada et moi j’ai 35 ans… Aujourd’hui ! lui lance Julien.
— Aujourd’hui ?!
— No way ! Pour vrai ? interjette Hoang, soudainement intéressé par la conversation.
— Oui, oui, regardez, répond Julien en sortant son passeport, tapotant la ligne indiquant sa date de naissance.
De son bras libre, Vinh serre vivement la main du fêté.
— Vous aimez la bière ? Ne bougez pas !
Il revient quelques minutes plus tard avec des gobelets remplis de glace et 5 canettes de bières. Sa fille d’à peine 2 ans, complètement obnubilée par sa tasse de nouilles instantanée, le suit de près.
Avant même qu’on puisse protester, Vinh remplis les verres à ras bord et nous les tend. Refuser est impensable.
Touchée, je demande :
— Comment dit-on santé, en vietnamien ?
— Một, hai, ba, dzo ! Một, hai, ba, dzo ! Một, hai, ba uống !
Les coudes se lèvent, on essuie la bière aux commissures des lèvres. Dans l’excitation générale, la petite cousine renverse son bol de nouilles sur les sandales de Julien. Une commotion éclate en même temps que les rires.
Et c’est comme ça qu’on a trinqué à une nouvelle amitié, née d’un heureux hasard dans un train de nuit, quelque part entre Da Nang et Hanoi.
Vinh nous a fait promettre de lui rendre visite dans sa ville natale, un jour. Les promis-juré de petit doigt, scellé depuis l’autre bout de la planète.
Avant que l’on se sépare, il nous a aussi partagé un proverbe vietnamien :
Hữu duyên thiên lý năng tương ngộ
Si les gens sont destinés à se rencontrer, leurs chemins se croiseront, même si des milliers de kilomètres les séparent.
D’ordinaire, lorsque je visite un nouveau pays, j’accepte la possibilité que je n’y remettrai jamais les pieds. Mais cette fois-ci, avec une telle invitation, comment ne pas avoir déjà envie de revenir au Vietnam ?
Les anecdotes que la vie nous garoche quand on s’y attend le moins sont, sans contredit, les plus délicieuses du lot.
