Les mille et une péripéties de Bali, ou le truc ultime pour demeurer zen face à l’imprévu
Y’a des journées où la chance te sourit sans que tu n’aies à lever le petit doigt.
Tu arrives une minute pile avant le départ de ton train. La sélection de films dans l’avion ? Impeccable. T’es la toute dernière personne à franchir les douanes avant qu’une panne d’électricité immobilise le pays au complet.
Pis y’a les autres.
Tsé, celles où il suffit de lancer innocemment « ahhh, on es-tu pas assez bien ? » pour réveiller l’univers assoupi et lui donner une excellente raison de te rappeler c’est qui le boss.
C’est de celles-là dont on va jaser.
Notre ami Panca, prise 1
À peine sorti du sud de Bali, le transport en commun devient un concept flou.
Deux options : louer un scooter et jouer à Fast&Furious en priant pour ne pas tomber dans les rizières, ou engager un chauffeur-guide pour la journée.
Connaissant mon talent légendaire pour la grâce et la coordination, le choix était vite fait.

On attend donc Panca, notre guide du jour, dans le village de Sidemen. Il débarque à 9h tapantes, tout sourire, prêt à nous faire découvrir son coin de paradis.
Avant d’embarquer dans sa voiture, une intuition me traverse :
— T’as assez de liquide sur toi pour le payer à la fin de la journée ?
Julien me regarde, hésitant :
— Oups … On peut sûrement lui demander de nous déposer à l’ATM du village d’à côté avant de rentrer.
Je note mentalement de retirer plus que nécessaire la prochaine fois. C’est fou ce réflexe qu’on perd, à force de se promener avec pour seule monnaie des rectangles de plastique.
On embarque en se présentant et Panca, en apprenant qu’on est canadiens, s’empresse :
— Québec ou Ontario ?
Ça me fera toujours rire.
La journée commence sur une super belle note : on s’arrête d’abord à l’un des ateliers de tissage du coin pour en apprendre plus sur l’art des sarongs, vêtements sacrés pour le peuple balinais.


Les artisans se servent des retailles de plastique comme patron pour dessiner et teindre les fils de coton


On file ensuite vers une cascade perdue dans une jungle d’épices et de fruits tropicaux mûrs à souhait. Panca nous explique qu’ici, tout pousse en même temps, afin de toujours avoir quelque chose sous la main pour confectionner les offrandes.

En quittant les lieux, notre guide accoste un homme dans le parking et échange quelques phrases avec lui.
— Ça vous tente de goûter à de l’arak?
L’arak, c’est l’équivalent balinais du moonshine. Dans ce cas-ci, de l’alcool de cour arrière, qui a passé on ne sait combien de temps à fermenter dans un baril douteux. Niveau de risque encouru : raisonnable. On accepte.
Ça goûte la vodka, si la vodka avait passé un peu trop longtemps à traîner clandestinement avec une bouteille de Malibu.
Je prétends aimer ça, même si j’ai surtout envie de boire un litre de jus d’ananas pour me rincer le gosier.
Avec tout ça, il est presque midi, et Panca nous annonce qu’il nous amène dans un petit warung (resto local) qu’il connaît bien.
À côté de moi, Julien se tortille en silence, ne tenant pas place. Je me retourne, le visage marqué d’un énorme point d’interrogation.
— Ben voyons, ça va, mon cœur?
À voir sa tête, je devine que non, ça ne va pas pantoute.
— J… je… N… Non.
Je me retrouve direct avec un Julien évanoui sur mes genoux.
Mon cerveau me livre l’hypothèse la plus plausible qui lui passe par la tête : bon, ça y est, il vient de me mourir dans les bras d’un empoisonnement au méthanol. Je suis la prochaine à y passer.
— Panca, j’pense que tu devrais te ranger sur le bord… On vient d’en perdre un.
Captant la scène à travers le rétroviseur, il s’immobilise sur-le-champ.
Julien se relève d’un coup sec, le teint livide et le front trempé. Il réussi à ouvrir la portière juste à temps.
Inquiet, Panca m’interroge du regard :
— Ça lui arrive souvent ?
Si seulement tu savais, pensais-je en me remémorant l’épisode de l’appendicite dans l’Ouest canadien.
On décide de conclure la journée. Je me confonds en excuses auprès de Panca, qui se montre très compréhensif.
— Pas de problème, les amis. Je vous ramène à l’hôtel ?
— Non… l’ATM le plus proche. S’il te plaît.
Notre ami Panca, prise 2
Vous l’aurez deviné : non, Julien n’a pas fait une intoxication au méthanol. Juste une bonne vieille intoxication alimentaire. En remerciant Panca à la fin de notre avant-midi abruptement écourtée, il m’invite à le recontacter si on cherche un conducteur pour l’est de Bali.
On se retrouve maintenant une semaine plus tard, sur les îles Gili, Lombok.


Demain, départ vers le parc national de Komodo. On parle d’un 4 jours de bateau, des randonnés sur des îles paradisiaques, des plages de sable rose, des couchers de soleils comme si on les avait peints… Le rêve.
Julien m’en parle depuis notre arrivée en Indonésie. Il a tellement hâte qu’il se fiche royalement de dormir sur le pont, si ce n’est que pour voir des dragons de Komodo en personne et, avec un peu de chance, des requins-baleines.
17h, la croisière débute dans à peine douze heures.
Par un drôle de hasard, une vidéo passe sur mon fil d’actualité. On y voit un pauvre requin-baleine, visiblement stressé, entouré d’une horde de nageurs surexcités.
Ça me met la puce à l’oreille. Je tente une recherche.
— Julien… viens voir.
On apprend que la compagnie qu’on a choisie convient d’une entente avec les pêcheurs de Saleh Bay : appâter les requins-baleines pour garantir la photo du siècle à des centaines de touristes assoiffés de likes.
Rien n’est laissé au hasard.
En creusant un peu, on découvre que toutes les compagnies qui proposent la traversée encouragent cette pratique ignoble pour la faune aquatique.
Merde. C’était trop beau pour être vrai.
Refroidis, penauds et franchement dégoûtés, on annule tout. On ne peut pas encourager ce manège, maintenant qu’on sait ce qui s’y cache derrière.
On réajuste, on improvise. On revient plus tôt sur Bali et on s’offre deux nuitées dans un hôtel un peu plus chic. Parce que devinez quoi ? Le lendemain, c’est ma fête.
J’étais supposée souligner mes 30 ans en mode incognito, quelque part entre Lombok et les îles Komodo, entourée de voyageurs en Birkenstock et pantalons d’éléphants.
Je les ai finalement fêtés assise sur le bord d’une piscine, après une séance de yoga et un massage (oui, je suis un cliché ambulant que j’assume à moitié).

Mais honnêtement… il existe pire comme début d’une nouvelle décennie.
On en a même profité pour recontacter Panca, question de tâter le terrain.
À ma grande surprise, il est dispo pour nous amener à notre prochaine destination et nous concocte un nouvel itinéraire. On a pu visiter une foule de sites intéressants, sur la route entre Sidemen et Amed.
Visiblement, il ne m’avait pas blacklistée (conseil : donnez toujours un excellent pourboire à votre guide quand votre chum vomit ses tripes lors d’un tour organisé).



Plongée en eaux troubles
Vous commencez à saisir le pattern : 3e section, 3e péripétie. Cette fois-ci dans le petit village côtier d’Amed, où y’a littéralement plus de centres de plongée au pied carré que de warung.
L’endroit est parfait pour l’initiation : l’eau d’un calme plat et les nombreux sites à proximité du rivage rendent l’expérience beaucoup moins intimidante pour les novices.
On débarque ici avec la certitude que j’allais repartir certifiée PADI. Je me voyais déjà rentrer au Québec afin de poursuivre mes cours de plongée dans l’eau glaciale du Saint-Laurent.
Crinquée rare, la fille.
Mais le truc avec la plongée, c’est qu’avant même de commencer à explorer les fonds marins et essayer de trouver Nemo, il faut que tu maitrises une technique toute simple : équilibrer tes oreilles.
Grosso modo, tu dois réussir à égaliser la pression de chaque côté de tes tympans. Facile, qu’ils disent : pince le nez et souffle doucement.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’environ 1 personne sur 10 est physiquement incapable de le faire correctement.
Devinez qui ?
Je souffle, je déglutis, je fais danser ma mâchoire, zéro. Rien. Ça ne passe pas. Une douleur soudre me vrille le creux de l’oreille gauche à chaque descente.
— J’veux bien croire qu’elles vont être sensibles, mais n’est pas normal, quand même ?
Spoiler : non, ce n’est pas normal. Mon instructeur affiche un air désolé :
— Je ne prendrais pas de chance et j’irais faire un tour à la clinique, si j’étais toi.
Je ri jaune. Mais j’y vais.
20 minutes plus tard, je ressors avec :
- 6 différentes sortes de pilules ;
- Un diagnostic officiel : tympans enflés ;
- Un congé maladie de la plongée pour Marie.
Comptant ou crédit ?



Tout est bien qui finit bien
Bon, d’accord. Le titre de ce billet est légèrement trompeur. Je n’ai toujours pas trouvé l’astuce béton pour que l’anxiété ne prenne pas le dessus lorsque l’imprévu s’invite dans ton itinéraire.
Mais en y repensant, c’est un peu ça, voyager.
C’est d’accepter que, parfois, ton chum va tomber violemment malade au pire moment, que les coulisses de ton excursion de rêve sont moralement grises, et que ton tympan décidera à ta place si tu pourras explorer les profondeurs marines.
C’est d’apprendre à composer avec ce qui dérape. Et c’est correct.
On peut soit s’accrocher désespérément aux plans dessinés, ou prendre une grande respiration, dédramatiser un brin, et se rappeler que tout peut se raconter plus tard autour d’une bière.
Pis honnêtement — ça fait de bien meilleures histoires.