Journal de bord : à quoi s’attendre de la vie d’van en Nouvelle-Zélande
C’est probablement la première image qui vient à l’esprit de tout le monde quand on pense à la Nouvelle-Zélande : un van qui file sur une route déserte, bordée de montagnes sauvages et de lacs miroirs.
Et, il faut l’avouer, c’est vrai que ça fait rêver. Un retour à l’essentiel, à la simplicité, une pause bien méritée dans ce tourbillon d’hyperconnectivité.
L’aventure bohème à l’état pur.
Mais la vraie vie de van, ce n’est pas tout à fait ce qu’on voit sur les réseaux sociaux
C’est crasse. C’est chaotique. Et c’est complètement grisant.
La vraie vie de van, c’est ça :
Le bolide
Notre salon, cuisine et chambre à coucher sur 4 roues : une Toyota Estima convertie en campeur de la compagnie Spaceship (soit dit en passant, un excellent rapport qualité-prix).
D’une part, notre budget ne nous permettait pas trop d’écarts, et d’autre part, on trouvait cela moins intimidant que de prendre le volant d’un immense fourgon.



Musique à fond, fenêtres baissées et vent dans les cheveux, on a mis les gaz vers notre aventure de vagabonds.
Une aventure qui débutait chaque matin par essuyer la buée dégoulinante des vitres du van.
Une aventure qui goûtait le café soluble et les repas tièdes préparés à la va-vite sur un réchaud capricieux, emmitouflés dans trois couches de laine mérinos.
Une aventure qui sentait les vêtements humides qui ne sèchent jamais complètement.
Mais aussi une aventure absolument inoubliable, de petits-déjeuners savourés à quelques mètres de la plage, de ciels étoilés à nous faire perdre l’envie de dormir et d’innombrables soirées à se dire qu’on n’en revient pas d’être là, de vivre ça.
Une liberté imparfaite, désordonnée et sublime.
Kia ora : parenthèse culturelle
Un élément qui nous a marqués de notre voyage : la place qu’occupe la culture māorie un peu partout en Nouvelle-Zélande.
Je vais être honnête : je ne suis pas familière avec l’histoire coloniale de la Nouvelle-Zélande. Mon témoignage est donc à prendre avec un grain de sel. Mais de mon point de vue, j’ai découvert un pays qui valorise au quotidien ses racines autochtones.
Lorsqu’on se fait accueillir par un kia ora en rentrant dans un commerce ou un café. Sur les panneaux de signalisation, où les noms indigènes cohabitent naturellement avec les toponymes anglais. En passant devant les écoles Kura Kaupapa Māori, qu’on a d’abord prises pour des écoles primaires classiques, avant de découvrir qu’elles sont entièrement dédiées à l’enseignement en langue māorie.

Même dans les parcs nationaux et les sentiers entretenus par le DOC, on sent un respect des traditions. Les panneaux d’interprétation de la nature ne manquent pas d’expliquer les différentes utilités des plantes pour le peuple māori : une telle pour calmer la fièvre, une autre pour le tissage ou encore pour la cuisine.
Malgré tout, je ne suis pas dupe. Partout à travers le monde, les droits des peuples indigènes sont constamment bafoués.
Je me doute bien que, même ici, la préservation de cette culture demeure un combat au quotidien. Je me doute bien qu’elle existe en équilibre fragile. Je me doute bien qu’en coulisses, il y a des blessures encore ouvertes, des territoires encore disputés, des histoires qu’on a trop longtemps déformées et qu’il faut aujourd’hui se réapproprier, voire réapprendre.
Mais j’ai surtout senti de la fierté. Et ça, je trouve ça immensément précieux. Parce que derrière chaque culture qui survit, il y a un peuple debout, un peuple qui lutte, qui revendique son droit d’exister à sa façon, de célébrer ses traditions, de parler sa langue.
J’espère qu’on ne cherchera jamais à étouffer les voix māories. Parce que c’est en elles que la Nouvelle-Zélande puise sa richesse et sa couleur unique.
Le DOC (Department of Conservation)
À propos de patrimoine naturel : le DOC, c’est un peu l’homonyme de la SÉPAQ pour le Québec. Il gère plus de 300 campings disséminés à travers le pays.
Avec autant d’options, la plupart couvertes par la passe DOC, ça n’a pas été difficile de rester spontanés dans nos déplacements.
Mais contrairement à la SÉPAQ, avec les campings du DOC, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
Pour vous donner un exemple : avec notre véhicule non autonome, on choisissait systématiquement des campings dits standards.
Des campings qui doivent bien conserver un certain standard d’un emplacement à l’autre, non ?
Erreur. On peut aussi bien tomber sur un camping équipé d’abri cuisine, toilettes avec chasse d’eau et bloc sanitaire, que sur des terrains vagues, boueux, avec pour seul confort une unique toilette sèche bringuebalante. That’s it, that’s all.



La maudite vaisselle
Parlant de camping sans bloc sanitaire : avez-vous déjà essayé de faire une vaisselle sans lavabo, ni eau courante ?
Nous, oui.
Je peux vous promettre qu’on a abandonné le projet assez vite.
Pour environ la moitié des terrains de camping visités, la source d’eau promise était inexistante. Idem pour l’évier.
Je vous rassure tout de suite : on n’a pas été ces campeurs-là qui donnent mauvaise presse aux touristes et qui lavent leur vaisselle dans les lacs ou dans les toilettes des piscines publiques.
Non, dans notre cas, ça finissait avec deux-trois blasphèmes, un panier de bols et ustensiles graisseux garochés rageusement dans le fond du coffre du van et une balade en voiture qui sentait très fort les retailles d’oignons fourrées dans un petit sac brun.
Parce que oui, autre petit détail : les poubelles ne courent pas les campings, ici.
En réalité, ça n’a pas été si dramatique. Bien souvent, en arrivant au prochain camping, il y avait une bassine et un lavabo. De quoi faire briller la porcelaine… façon de parler.

La chaleur Kiwi
Si sur les terrains de camping, les occasions de sociabiliser étaient rares (mais pas nulles) c’était tout le contraire en ville et dans les petits villages.
Martinborough, île du Nord, pause buanderie.
Julien est parti chercher de la monnaie à la station-service voisine. Je lis un livre, installée sur l’unique chaise branlante de la pièce.
Une dame rentre dans le lavoir, une pile de draps sous les bras. En m’apercevant, elle me sourit immédiatement :
Beautifuldayinnit ?
Je fige une fraction de seconde, les rouages de mon cerveau se mettent en branle. Je devine qu’elle parle de la météo, je sors mon meilleur anglais et j’engage la conversation.
On discute amicalement et son visage s’allume lorsqu’elle apprend que suis canadienne. Elle me raconte qu’elle rêve de visiter le Canada. C’est immense, n’est-ce pas ? Par où commencer ? Je m’improvise agente de voyage le temps d’un cycle rinçage.
Julien revient au moment où elle nous demande si on a eu la chance de goûter aux fameuses pies de la Nouvelle-Zélande et lorsqu’on lui répond par la négative, je sens son excitation sincère :
Oooh ! You got to swing by Feelie’s then! They have the absolute best pies in all of New Zealand! If you go to Mount Cook or Tekapo, it’s basically on the way.
On la remercie chaleureusement et, à la seconde où elle referme la porte
derrière elle, je me retourne vers Julien :
— « T’as compris ce qu’elle a dit ? »
— « Euh… Feelies ? Je pense ? »
Je sors mon téléphone, naviguant sur Google Maps.
— « Mmh… Non, c’était pas ça… Peut-être que ça s’écrit Faylies ? »
— « Non plus », marmonne Julien, lui aussi en mode détective. « Attends, elle a dit que c’était proche de Mount Cook. »
Fronçant les sourcils, je me mets à éplucher les villages en périphérie du parc national un par un.
— « Ohhhh, FaiRlies ! »
Oui, évidemment qu’on s’est arrêtés à Fairlies. Et oui – incontestablement les meilleures tartes salées de tout le pays. Excellentes options végétariennes en prime ! (D’ailleurs, je salive un peu en y repensant).

Les paysages
Les mots et les photos peinent à capturer la splendeur brute de la Nouvelle-Zélande. C’est le genre d’endroits qu’il faut voir pour le croire.






Lacs limpides lovés au pied de montagnes verdoyantes, cratères volcaniques vaporeux, vallées entières sculptées par d’anciens glaciers… La beauté onirique de la nature.
J’étais aussi ravie de constater le nombre ridicule de vaches et de moutons qui ponctuaient les prés vallonnés de leur présence.
On en voyait immanquablement lors de nos déplacements, et à chaque fois, je fondais, attendrie.
L’une des mille et une fois où on en a croisé, j’ai recommencé la même chanson :
— « Regarde Julien, des moutons ! »
Mais cette fois-là, Julien se sentait un brin espiègle. Il se décide à faire chanter le klaxon, d’un coup ferme et bien senti :
BEEEEEEEEEP
La détonation provoque la débandade générale dans le troupeau. Ça tombe à la renverse, ça bondis à quelques pieds du sol, ça se bouscule prestement avec un seul but : s’enfuir loin de ces tarés motorisés.
— « Ben voyons donc, franchement, ça s’fait pas ! » m’exclamai-je, courroucée devant un Julien complètement hilare.
— « Quoi, Marie ? C’est irrespectueux ? » me taquine-t-il en imitant ma mère.
J’esquisse un sourire, non sans me mordre les lèvres.

La conduite …
Si les paysages magnifiques volent la vedette, la conduire au niveau technique mérite, elle aussi, sa propre mention.
Outre le fait qu’ici, on roule à gauche (ce qui demande une petite période d’adaptation et qui a valu quelques t’es pas du bon bord, mon amour!) j’ai finalement compris la définition de virage en épingles.
Parce que conduire là-bas, c’est du sport.
Des courbes si serrées qu’on se demande comment la voiture peut encaisser. Des côtes si abruptes que ça commence à sentir le caoutchouc brûlé. Et des routes qui sont la définition même de sinueuses, à peine assez larges pour laisser passer 2 véhicules.

…et quand la météo s’en mêle
Tout ça, c’est bien divertissant par journée ensoleillée.
Mais quand la météo fait des siennes, c’est une autre histoire.
Avant-dernier jour en Nouvelle-Zélande. Il tombe des cordes depuis la veille, et le ciel d’un gris menaçant nous fait comprendre que ce n’est pas près de se calmer. Pour nous, ces journées ont commencé à rimer avec librairie.
On bouquine, un café fumant entre les mains, avant de se diriger vers le pub du village de Methven. L’ambiance est feutrée et accueillante, on est installés avec les habitués, on soupe au chaud, on jase avec le proprio, la bouffe est réconfortante ; on est bien.
Je consulte mon téléphone. Le camping est à une soixantaine de kilomètres ; si on part maintenant, on devrait y être dans moins d’une heure.
On rembarque dans la voiture, la pluie infatigable. Julien s’engage sur l’unique chemin nous menant à notre destination, une route secondaire.
— « Faudra juste prendre notre temps », déclare-t-il.
À peine sortis du village, j’aperçois un panneau tristement couché sur le bord de la route. Je plisse les yeux, tentant de le déchiffrer.
— « …Est-ce que c’était écrit Creek overflow, road closed ? »
— « Mmh? J’pas certain, j’ai pas remarqué… », grommelle Julien, concentré sur la route.
C’est à ce moment-là qu’on amerrit. Littéralement
Les cours d’eau voisins, gonflés par des heures de pluie battante, débordent sur la chaussée. La voiture devient un poisson de ferraille, balloté par les courants.
— « Non, fuck that, pas aujourd’hui, tabarnak ! », lâche Julien en enclenchant la marche arrière.
Après un virage en cinquante points, retour à la case départ.
— « Laisse faire le camping, ça ne sera pas possible avec un temps pareil », soupire-t-il, embêté.
— « On trouve un motel dans Methven là là, où on essaie de se rapprocher le plus possible de Christchurch ? »
Je le vois hésiter. D’un côté, on est crevés. De l’autre, on sait très bien que la météo sera tout aussi merdique pour les 48h prochaines heures. Dans quel piètre état seront les routes au matin?
— « On continue le plus loin qu’on peut »
— « Ok, reviens sur la Main, ça va devenir la 77. On peut la suivre jusqu’à Christchurch, ou s’arrêter dans le village juste avant. »
— « Tu me fais bien prendre une route principale ? Au moins pour que ce soit éclairé. »
Fun fact : la majorité des routes en Nouvelle-Zélande sont dépourvues de lampadaires. Nous, c’est comme ça qu’on l’a appris.
Jusqu’à présent, comme on avait toujours roulé de jour, ce léger détail nous avait échappé.
On s’engouffre alors dans le néant impénétrable d’une nuit sans lune. Seuls les petits réflecteurs qui criblent la route dessinent une constellation sous nos roues, nous guidant à travers ce manteau d’encre. Spaceship n’aurait pas pu mieux porter son nom.
Nos phares peinent à fendre l’obscurité, les miroirs nous renvoient pour seul reflet le vide absolu.
Mes sens en alerte, je guette et j’anticipe chaque virage, chaque flaque vorace réclamant le bitume, prête à nous expédier dans le fossé.
— « Ça garde éveillé », souffle Julien, tentant de détendre l’atmosphère.
Tout au long du périple vers la ville, on croise des panneaux avec pour unique mention :
FLOODING !
Julien n’en a rien à cirer. Ses mains agrippent le volant, resserrent leur poigne et la voiture plonge dans les petites rivières qui traversent la route. FLOUSH. Le van avale une vague entière, un mur d’eau s’abat sur les portières.
Et on continue comme si de rien n’était.
Un peu plus d’une heure plus tard, on atteint un petit village dans les alentours de Christchurch.
Il est 20h. Les deux motels de la place sont fermés.
Se résignant à pousser jusqu’à Christchurch, on refuse de baisser les bras.
Motel 1, fermé.
Motel 2, fermé.
Motel 3… fermé. On a manqué la fermeture de 15 minutes.
Motel 4, même chose.
La pluie torrentielle ne s’essouffle pas.
Devant le cinquième motel, on commence à en avoir marre.
— « Gare-toi, je vais aller voir s’il n’y aurait pas quelqu’un. Les lumières sont allumées. »
— « Les lumières des quatre autres motels l’étaient aussi », fait remarquer Julien.
Je descends de la voiture, déjà trempée par les tentatives précédentes. Le vent glacial me fouette le visage. Maudit que je prendrais bien une douche chaude.
Arrivée devant l’accueil, je fais glisser timidement la porte, qui ne proteste pas sous mes doigts frigorifiés. Ça y est, on a finalement trouvé pensais-je.
Je m’avance dans le minuscule vestibule, dégoulinante sur la moquette défraîchie. Mes yeux repèrent une petite sonnette sur le comptoir. Ding.
J’entends une télé qu’on éteint dans la pièce d’à côté. Un homme apparaît dans l’embrasure. Je lui adresse un sourire à travers mes lunettes brouillées de gouttelettes fraîches.
Je sais pertinemment que j’ai un air de rat mouillé. Et lui sait pertinemment que je dirai oui à n’importe quel prix.
Après avoir réglé la facture, je retourne à la voiture et m’installe dans mon siège détrempé.
— « C’est bon, on a eu la dernière, c’est payé », dis-je en crachotant une gorgée d’eau de pluie.
Julien pousse un soupir de soulagement. Il éteint les essuie-glaces, coupe le contact et se détend enfin. Moment de silence. Seul le bruit de la pluie matraquant le parebrise en salves déchaînées résonne dans l’habitacle.
— « … Faut faire la vaisselle »
