7 jours au Tibet : récit d’un roadtrip sur le toit du monde
De Lhassa à Katmandu sans prendre l’avion
Mai 2017
« Ne manque le Népal ».
C’est le conseil qu’un mystérieux homme d’affaire m’a donné avant de se volatiliser dans le fouillis de l’aéroport de Bangkok. J’avais tout juste 22 ans et j’attendais de passer la sécurité de mon vol de retour vers le Canada.
Belle façon clôturer mon tout premier voyage en backpack. Et d’un coup parti, garantir que j’en attrape la piqûre.
Mais il est où, donc, le rapport avec le Tibet ?
Été 2024
On passe nos soirées à étudier la carte du monde en planification de notre année sabbatique.
Ne manque pas le Népal.
Je ne démords pas : désir de visiter ce pays est toujours bien nourri.
Cela dit, on a pris le gage de limiter nos vols lorsque possible. Ça veut donc dire que, pour se rejoindre le Népal par voie terrestre, la manière la plus « simple » est de traverser l’Himalaya.
Ou, plus précisément, le Tibet.

Les préparatifs
On ne se le cachera pas : la région « autonome » du Tibet ne l’est réellement que de nom.
Déjà, lors du processus de demande pour le visa chinois, mieux vaut ne pas indiquer son intention de visiter le Tibet. Sinon, on risque un refus catégorique.
Et en plus du visa chinois, il faut absolument détenir un permis d’entrée, délivré par une agence de voyage agréée. Pourquoi ? Parce qu’il est carrément impossible de visiter la région autonome du Tibet… de manière autonome.
En tant que voyageurs étrangers, on se retrouve forcément sous l’escorte d’un guide et tenus de suivre un itinéraire préétabli – qu’il est toutefois possible de personnaliser lorsqu’on entame les démarches avec l’agence.
D’ordinaire, les voyages organisés ne sont pas trop notre truc. Mais dans ce cas précis, on a accepté le compromis. Pour nous, ce périple avait surtout pour but de sécuriser notre passage vers Katmandou.
Le reste, c’est du bonus.
Jour 0 : 34h de train, Chengdu à Lhassa
Après 1 mois d’attente, on reçoit finalement le courriel libérateur de l’agence tibétaine : nos permis et nos billets de train, livrés en bon et due forme.
C’est d’humeur fébrile qu’on se rend à la gare de Chengdu, appréhendant passer une foule de points de contrôles avant même d’avoir posé un pied dans la locomotive.
Pourtant, surprise : outre nos passeports, aucun agent de sécurité daigne nous demander des pièces justificatives.
Ce n’est qu’en arrivant à Xining, lors du changement de train, qu’un agent jette un bref regard à nos permis d’entrée tibétains avant de nous laisser monter à bord.


Le paysage défile et nous rappelle qu’on est vraiment au fin fond du monde : des steppes s’étirant à perte de vue, des lacs saturés de ce bleu impossible évoquant les cartes postales, des formations de montagnes chiffonnées.
La terre est belle.


Jour 1 : Lhassa en mode touristes
8h00
L’air délicieusement frais. Les escouades antiémeutes postées sur le quai de la gare.
Ce sont les premières choses que mon cerveau remarque en débarquant à Lhassa, la capitale du Tibet.
À peine le temps d’assimiler l’information qu’on se fait héler. Après des mois de correspondance, on rencontre enfin le responsable de l’agence touristique, venu nous chercher à la gare.
— Le voyage a dû être long !
Pour nous souhaiter la bienvenue selon la tradition tibétaine, il nous passe immédiatement des khata autour du cou, ces magnifiques écharpes en soie blanches.
Assise dans la voiture qui nous conduit vers l’hôtel, j’ai la tête légère. Lhassa se trouve à près de 4 000 m d’altitude, et nos corps nous le rappellent.
— Aujourd’hui, activités libres. Reposez-vous. On soupe avec le reste du groupe ce soir, et demain vous débuterez l’exploration.
Mais rien n’y fait : on ne trouve pas le sommeil. Alors, on décide d’aller se balader dans Barkhor, le cœur historique de la ville.



Avant d’atteindre la place principale, on tombe par hasard sur une teahouse achalandée de tibétains buvant du thé au lait.
— On va prendre la même chose, s’il vous plaît.
À en juger par les regards peu subtils qu’on nous lance, les voyageurs ne doivent pas souvent s’aventurer ici.
Julien revient à table avec un thermos rose bien costaud. Le liquide crémeux laisse échapper une fumée envoûtante : un mélange de sucre et de réconfort.
Je n’ai jamais été une grande buveuse de thé, mais je crois que ça vient de changer.

En quittant le salon, je réalise enfin où l’on se trouve. Deux petits Montréalais au Tibet. Tout ça me semble tellement irréel. Je prends enfin le temps d’absorber tout ce que je vois.
Les murs en pierres blanchies de chaux. Les fleurs peintes à la main sur les linteaux de bois. Les fenêtres drapées d’ornières claquant au vent, leurs pourtours noirs. Les portes rouges cramoisies et leurs poignées à anneaux tombants. Les poteaux de prières auxquels sont enroulés des lungta – ces banderoles de drapeaux colorés ornés de mantra bouddhistes. Les toits dorés aux angles relevés.
Des drapeaux de la Chine, partout. Certains allant même jusqu’à imiter l’apparence des lungta, à l’ordre des couleurs près. Des écriteaux en mandarin. Points de contrôle. Points de contrôle. Points de contrôle. Show your passeports.
On n’y échappe pas.

Jour 2 : Les monastères Drepung et Sera
Certaines scènes nous marquent plus que d’autres.
Des moines vêtus de kesa écarlates qui courent dans tous les sens, d’immenses cruches remplies de thé au lait bouillant sous les bras, ça reste gravé dans ta mémoire.
— À les voir aller, on dirait presque des bonhommes dans les dessins-animés, blague Julien.
Il n’a pas complètement tort.
On se trouve au monastère Drepung, signifiant tas de riz, en tibétain. Juché sur une montagne, avec ses ruelles pavées zigzagant à travers de nombreux bâtiments en chaux, le complexe bouddhiste porte bien son nom.
Sa fondation remonte à 1416, au temps où plus de 10 000 fidèles le fréquentait. Depuis l’invasion chinoise de 1950, ils ne sont plus que 1000.


Devant nous, sur le parvis, les apprentis moines remballent avec empressement les tapis sur lesquels ils se tenaient en rangées bien droites quelques secondes plus tôt. On vient d’assister à un examen bouddhiste en bonne et due forme.
— Les défenseurs sont assis à l’avant de la classe entière et présentent une thèse philosophique. Ils se font bombarder de questions par les adversaires, debout devant eux, nous explique notre guide, Varja.
Pour ponctuer chacune de leurs questions, les adversaires se tapent dans les mains en grand gestes dramatique. Presque tout est permis pour distraire leur opposant. Clac !

Le monastère Drepung inspire une aura sacrée, nourrie par son histoire millénaire.
Et si la splendeur architecturale de ce patrimoine culturel en témoigne à elle seule, c’est dans les détails que j’en saisis pleinement le sens : le parfum capiteux, voire oppressant des chandelles au beurre de yak et de l’encens, les somptueux tapis baignés dans les rayons du soleil, les milliers d’offrandes laissées dans les chapelles aux effigies des différents bouddha.
— On offre de l’alcool, des cigarettes ou lait au bouddha protecteur. Pour les autres, c’est de l’eau au safran. Ou de l’argent.
J’observe l’autel de plus près. Dans un coin, derrière une sculpture… une caméra de surveillance.



Au monastère Sera,un puissant chœur guttural s’élève et me fige sur place.
Dans le hall principal, des centaines de moines entament des chants liturgiques. On se sent bercé vers un autre monde, lointain, teinté d’une culture qui survit malgré tout.
Le voyage est de courte durée : le grincement d’un walkie-talkie me ramène en 2025. 2 policiers parcourent la salle, parlant à plein volume dans leur appareil.
Plus on s’enfonce au cœur du monastère, plus on peine à se frayer un chemin entre les pieux. La quantité de Tibétains massés sur place est impressionnante.
Les aînés visitent chaque chapelle, peinant à gravir les marches inégales, trop abruptes pour leurs corps vieillis. Les vieillards agitent leur rouleau de prière en psalmodiant des mantras. Des mères avec leurs bambins, venues implorer le protecteur de chasser les cauchemars.
— C’est pour ça que vous voyez plein d’enfants avec le bout du nez peinturé de cendres : la couleur du protecteur, renchérit Varja.
On termine notre visite dans la salle qui servait à accueillir le Dalaï-lama.
Un membre de notre groupe se risque à pousser l’interrogatoire plus loin. Il se butte immédiatement à une réponse sans appel :
— This is politics. It’s forbidden to talk about.


Jour 3 : le palais Potala – l’ancienne résidence des Dalaï-lama
Je peste en silence, peinant à trouver mon souffle.
Maudite altitude, quand même. À 3700 mètres, quasiment impossible de faire deux choses en même temps : suivre la conversation auprès des autres membres de notre groupe et me hisser en haut des escaliers menant au palais Potala.
Autour de nous, maints touristes sniffent allégrement leur bombonne d’oxygène.
— Pufffff, vous avez monté tout ça sans oxygène, mademoiselle ? C’est impressionnant, puffff.
Je me sens entourée d’une petite foule de Darth Vader, voix grave en moins.



En pénétrant dans la cour intérieure du palais, je comprends tout de suite pourquoi il domine l’héritage culturel du Tibet : solennel est le tout premier mot qui me vient en tête pour le décrire.
C’est irréel de se tenir à cet endroit, qui impose le respect au premier regard. Le palais Potala, dont les murs ont vu plus de 1300 ans d’histoire, jadis la résidence des Dalaï-lama.
Aujourd’hui, il se visite comme une attraction touristique.
D’un seul regard, on mesure l’ampleur de la surveillance : les gendarmes en faction, les détecteurs de métal, les insignes de plages horaires à respecter… et les kiosques de souvenirs.
Le contraste est frappant. Si le Tibet n’était pas une nation occupée, si le Dalaï-lama ne vivait pas en exil, le palais Potala serait toujours sa demeure.
Autant je me sais privilégiée de pouvoir contempler ce lieu mythique, autant je suis troublée par ces signes d’une oppression à peine dissimulée.

À la sortie, je remarque une imposante obélisque érigée au milieu d’une place publique, savamment alignée face au palais Potala.
— C’est quoi ça, de l’autre côté du boulevard ?
Du bout des lèvres, Varja marmonne : le Monument de la « libération pacifiste » du Tibet.
Je reste silencieuse.
Autour de nous, des centaines de pèlerins pratiquent la kora, cette marche pieuse circumambulatoire autour du palais. Leur palais.
Sous leurs doigts, les moulins à prières tournoient doucement, émettant à peine un murmure : celui de la résilience du peuple tibétain, que rien ne semble pouvoir éroder.



Jour 4 : entre lacs sacrés, montagnes divines et rencontres fortuites
— Julien, peux-tu me passer le Diamox ?
J’avale le médicament, capitulant : là, on ne blague plus. On vient tout juste de quitter Lhassa, mais j’en ressens déjà les effets.
Une balade en voiture à plus de 4000 m d’altitude, ça rime avec nausée, fatigue et l’appétit qui joue au yo-yo. Le tout agrémenté d’un sérieux mal de bloc.
C’est le prix à payer pour une promenade sur le toit du monde… Un prix que je suis prête à payer encore et encore. Aujourd’hui, il n’y a pas que l’altitude qui s’amuse à nous couper le souffle.
Sillonner des routes avec des virages en lacets impossibles.
S’émouvoir à la vue de montagnes saupoudrées de neige.
S’émerveiller devant le lac Yamdrok, ses eaux limpides d’un bleu peint à la main.
Être intimidée face à l’indomptable glacier Karo La aux flancs de granite.
Céleste, onirique, name it : aucun mot, aussi précis soit-il, ne peut rendre justice à la beauté sauvage du paysage qui s’étire à l’infini.





À chaque arrêt, chacun de nos pas draine notre oxygène à une vitesse vertigineuse. Mais on s’en fout : on est au Tibet. Je me pince à chaque tournant. Nos yeux nous rappellent constamment qu’on ne pourrait pas être plus loin de ce qui nous est familier.
— Hé, excuse-moi, j’suis dans ta shot, hein ?
Parfois, la vie a le don de nous surprendre. Ça, ça on connait. Un accent ben de chez nous.
Julien et moi on se retourne immédiatement. Un couple se taquine amoureusement au sommet du belvédère du bassin hydraulique Mamlha, leurs amis tout essoufflés.
Chantale, George et leur gang de la rive-nord, un groupe dans la soixantaine, eux aussi en route vers Katmandou. On échange sur nos voyages respectifs, Chantale semble sincèrement ravie de croiser d’autres Québécois :
— Non mais c’est-tu pas assez beau ? C’est capoté, hein ? Eille, j’tassée contente d’être montée en haut ! Au début j’tai vu les marches pis j’tai comme oufff, mais là mon George y’ redescendait, fac j’y ai dis pis, c’tu beau ? Pis il m’a dit ah ouais, c’est beau !
Maudit que j’aime la chaleur de notre accent.
Jour 5 : le camp de base du mont Everest
Après le 20e véhicule blindé, j’avoue avoir perdu le compte.
Déjà que je n’en avais jamais vu d’aussi près, je n’étais pas prête à partager quotidiennement la route avec des convois militaires.
La voiture ralentit.
— Give me your passports, please, nous ordonne Varja.
— Encore ? Mais on vient de passer un point de contrôle y’a même pas 10 minutes.
Ce n’est pas une critique, mais un constat dur à ignorer : on a fouillé nos sacs et vérifié nos passeports plus souvent en 5 jours au Tibet qu’en 5 mois à travers toute l’Asie du Sud-Est.
Je n’ose même pas imaginer comment les locaux se sentent, eux qui doivent se conformer à des contrôles policiers encore plus stricts.
Un énième barrage et 8 heures plus tard, on atteint officiellement la réserve naturelle du Qomolangma… plus communément connue sous le parc national du mont Everest.
On vient officiellement de franchir le cap des 5200 m d’altitude. Si le Diamox garde les maux de têtes sous contrôle, nos poumons, eux, nous prient de leur fournir plus d’oxygène.
Avant la dernière ligne droite vers le camp de base du mont Everest, Varja propose un dernier arrêt photo à la légendaire Geu La Pass.


À l’horizon, la chaîne de l’Himalaya se dessine clairement. Malgré un ciel partiellement dégagé, la montagne titanesque se cache derrière quelques timides nuages.
— Vous croyez qu’on aura plus de chance au camp de base ? demandais-je au groupe en regagnant la voiture.
— Don’t worry, sunset and sunrise are good times to see her, nous rassure Varja.
Son expérience parle d’elle-même, car par le temps qu’on atteigne notre destination finale, elle nous attendait.
Everest, vêtue d’un mince manteau de nuage. Un peu comme si elle portait une khata.
Everest, gargantuesque mastodonte tout droit sorti des entrailles de la terre, nous souhaitait la bienvenue.

Le premier conseil qu’on nous donne pour un séjour en haute altitude : ne jamais courir.
Alors, naturellement, on s’est tous mis à courir.
Les picotements persistants aux lèvres et aux bouts des doigts, nos souffles saccadés… tout ça en valait la peine, juste pour admirer le jour se coucher sur la plus haute montagne du monde.
Une expérience qui aurait pu frôler le spirituel, n’eut été du battement sourd craché par les haut-parleurs d’une discothèque installée au cœur du camp de base.
Y’a de quoi trouver ça dystopique, quand même.

Jour 6 : Choc culturel
Comme on est les seuls à traverser la frontière tibéto-népalaise pour rejoindre Katmandou, on a dit au revoir au reste du groupe.
Confortablement installés à bord de notre propre véhicule avec Dorje, notre nouveau chauffeur, l’adrénaline de la veille retombe doucement.
Bercée par le mouvement de la voiture, je pose ma tête contre la vitre et je m’abandonne au sommeil. Mes pensées divaguent : la rosée du matin, les rayons obliques du soleil sur le sommet du mont Everest, les yaks grignotant le pâturage, le monastère Rongbuk.
Un monastère à 5200 mètres d’altitude… je me demande comment…
Mr Worldwide !
Je me redresse aussitôt.
La première image que le tableau de bord me renvoie, c’est une plage enflammée en pleine nuit. Un homme chauve portant des lunettes fumées s’y tient, entouré de demoiselles peu vêtues qui se trémoussent allégrement.
Dorje aime conduire avec des vidéoclips Youtube en toile de fond. Chose qui, soit dit en passant, est très fréquente dans ce coin du monde.
Son registre musical comprend aussi bien des chansons d’amour interprétées par des duos tibétains, des chansons traditionnelles indiennes … que du Pitbull.
Dale !

Jour 7: Tashi delek pour tout
Nyalam, 6h30. Le réveil est brutal.
Fallait s’y attendre, après avoir passé la dernière semaine à graver plus de 2700 kilomètres dans nos corps. À présent, seulement 140 nous séparent de Katmandou.
Mais emprunter un chemin niché au beau milieu de la plus grande chaîne de montagne du monde, ce n’est pas sans embûche : il faudra compter au moins 10 heures avant de rejoindre la capitale népalaise.
Aussi bien ne pas tarder.
À environ une dizaine de kilomètres de la frontière officielle avec le Népal, un dernier contrôle routier. Question de s’assurer que seules les personnes autorisées dépassent ce point de non-retour.
Quand on sait que les tibétains n’ont pas le droit d’obtenir un passeport, la mesure est d’autant plus absurde.
C’est absurde, mais c’est ça, le sort d’une nation occupée.
De l’autre côté du barrage, Dorje s’arrête devant une minuscule baraque en bois. Je parierais que sa construction prédate la création de la route.
— Vous voulez entrer boire quelque chose ? nous propose-t-il, une cigarette déjà coincées entre les lèvres.
On se faufile entre les vaches qui barrent la voie jusqu’à l’entrée de la maison. Un jeune veau tente même de nous suivre, attiré par l’idée de se réfugier à l’intérieur.
Accueillis par une charmante famille, on nous fait signe de nous installer sur de grands bancs en bois recouverts de tapis bien douillets.
Les doigts enveloppés autour d’une tasse de lait fumant, je photographie mentalement la scène :
Dorje qui complimente le mélange d’encens notre hôtesse et s’en sert un sac pour ramener la maison. Deux policiers, venus se chercher un petit déjeuner, qui engloutissent un bol de nouilles instantanées épicés en faisant descendre le tout avec une bonne tasse de lait chaud. La fille aînée qui balaie le sol distraitement. Le paternel qui chasse les (trop) nombreuses vaches passant leurs têtes par l’embrasure de la porte d’entrée.


Cette journée-là, nous avons quitté le Tibet harassés, heureux, mais aussi songeurs.
J’aurais pu signer ce billet en vantant sa beauté spectaculaire, sa richesse spirituelle et culturelle, et clore le tout par une jolie citation inspirante.
Done deal, on passe au suivant.
Mais ça serait trahir ce que j’ai véritablement ressenti : en réalité, j’ai souvent oscillé entre l’éblouissement et la tristesse.
Être au Tibet, c’est s’imprégner de la beauté brute du monde, au risque de se sentir sur une autre planète. C’est avaler à grandes lampées la puissance et la fragilité de la nature. C’est se confronter à notre propre petitesse.
C’est grandiose, au point d’en devenir vertigineux.
Mais être au Tibet, c’est aussi réaliser, non pas sans affliction, qu’un peuple a été injustement dépouillé de sa souveraineté.
Dans les écoles, les enfants n’apprennent plus leur langue. Dans les livres, la propagande efface toute trace du passé, le vrai. Dans le mutisme, le joug de la Chine persiste.
Ce qui rend cet endroit unique s’effrite un peu plus chaque jour. Et c’est bouleversant.
Oui, le Tibet m’a bouleversée : en partie par ce qu’on y voit, mais surtout par ce qui est tu.
